Balançoires Éternelles
Lynda Lemay
3:58J'entends qu'ils s'approchent Ils surgissent des autos Ils s'déplacent en troupeaux Les sabots dans les roches Ça y est, ils débarquent En fronçant les sourcils Le brushing aplati Les p'tits talons qui claquent J'vois foncer les bêtes Les p'tits fronts tout fripés Les p'tits airs contrariés Les questions déjà prêtes Ça gronde dans l'couloir Pis là, ça ose entrer Le faux air désolé D'avoir un peu d'retard Ça s'donne en spectacle Ça s'sort les pectoraux Ça s'humecte le museau Pis ça passe à l'attaque Ça s'prend au sérieux Ça me r'garde de haut J'me sens comme un agneau Encerclé par des bœufs Plantée d'vant la classe Terrifiée, j'les observe On dirait mes élèves Qui s'seraient pris des coups d'masse Je r'garde les néons Démasquer le visage De cette maquilleuse d'âge Dont le pauvre teint fond J'l'écoute m'expliquer L'attitude que j'dois prendre Quand son bel Alexandre M'lance des boules de papier Que c'est dû au stress Parce que j'donne trop d'devoirs Et que j'devrais l'savoir Que c'est dur, la jeunesse Tout l'monde veut parler Les bras s'lèvent de partout C'est comme plein d'chimpanzés Qui me cherchent des poux Ça gigote, ça grimace Ça m'suggère des façons De donner des leçons Qui seraient plus efficaces Pour que leur enfant-roi Puisse suivre leurs traces À la chasse à la masse Qui le défigurera Oui pour qu'leur bébé singe Continue d'faire l'idiot Et s'développe un cerveau Sans s'remuer les méninges Trois mois plus tard C'est le même troupeau Toutes les mêmes autos Qui éteignent leurs phares Y a d'la jolie neige Qui tapisse les cailloux Mais c'est le même zoo Le même triste cortège Y a du p'tit mouton Cousu dans les doublures Et pis y a d'la fourrure Autour des capuchons Y a plein d'caoutchouc Qui souillonne le parquet Et bientôt les crochets Sont chargés jusqu'au clou Ils ont tous l'air docile Le sourire hypocrite Ça fait doucement la file Jusqu'au lieu fatidique J'les vois qui arrivent Au sein d'mon pâturage La gueule pleine d'une salive En voie de gaspillage C'est comme une armée De capricieux lamas C'est à qui va m'lancer Le plus visqueux crachat Je vois le malaise D'la maman d'Alexandre Qui est en train de comprendre Qu'y aura pas assez d'chaises Il reste une seule place Loin de l'ombre du fond Juste en d'sous du néon Le violeur de vieille face C'est là qu'une voix creuse Se soulève soudainement Mais c'est quoi cet accent D'origine prétentieuse? Bonjour, j'suis Denis Le papa de Tristan Qui m'avouait récemment Ressentir de l'ennui Que faites-vous du problème De ces adolescents Qui ont clairement un quotient Plus élevé qu'la moyenne? J'devine que ça trouble Un p'tit peu sa voisine Qui est la mère d'Amandine Qu'ça fait deux fois qu'elle double L'commentaire provoque Une onde de colère Y a plein d'mains dans les airs On dirait un show rock J'réponds que j'm'adapte Aux besoins de chacun Et là, j'entends quelqu'un À la porte, qui frappe J'laisse entrer l'bison Avec son long manteau Ses mitaines, son chapeau Sa barbe pleine de flocons Il secoue son foulard J'le vois comme hésiter Je l'comprends d'être troublé C'est gênant comme retard! J'ai l'air d'un insecte À côté d'l'homme des neiges J'dis, Entrez, c'est correct Désolée, y a plus d'siège mais si vous voulez, vous pouvez Prendre mon bureau ça m'dérange pas Le manteau tout mouillé Il s'met bien confortable Le cul sur les cartables De travaux corrigés J'continue calmement D'écouter l'plaidoyer Du papa de Tristan Qui défend son surdoué Mais j'entends respirer Celui qui est dans mon dos Qui est en train de m'broyer Mes cartables à anneaux Je rassure ma classe De primates qui s'énervent Et qui attendent que j'élève Leurs enfants à leur place Quand j'tourne les talons Le monsieur se r'met d'bout J'vois mon verre en carton Qui s'renverse partout L'homme regarde le dégât Disparait dans l'couloir J'dis, "C'pas grave, non, ça va J'vais laver ça plus tard" Mais y r'vient par magie Avec une serpillière J'en r'viens pas, j'dis, "Merci. Wow, quelle perle de père" On dirait qu'y m'rappelle Un souvenir un peu flou Plus la barbe lui dégèle Plus je l'trouve de mon goût Y est 21h30 Quand les parents décollent Le barbu se présente C'est l'concierge de l'école Et moi qui pensais Qu'c'était un retardataire Quand au fond c'qu'il venait faire C'tait passer le balai Nettoyer le local Des traces de bottillons Des éclats d'postillons D'l'assemblée parentale C'que je sais pas en c'moment C'est qu'c'est l'homme de ma vie Et que c'est avec lui Qu'j'vais m'changer en parent J'vais rentrer dans la marche Rejoindre le troupeau Avec mes gros sabots Et mon trench en peau d'vache J'foncerai comme un taureau Et j'serai pire que les autres Quand je jetterai les fautes Sur les profs de mes veaux