Algorithme
Phanee De Pool
3:53Est-ce que tu as déjà eu le sentiment de rencontrer quelqu'un qui n'existait pas? Ce genre de personnage fictif que tu croises dans un polar Qui te semble tellement réaliste et mille fois mieux dessiné que toi Parce que tu l'as créé en 3D dans ta carte mémoire C'est comme une ombre de spleen coloriée à l'encre noire Ou un croquis au fusain griffonné à main levée Avec une peau de papier où chaque pli serait un code barre Et t'oses pas lire entre les lignes, sinon tu vas les froisser C'est comme un hologramme que tu croises dans la rue Que tu regardes traverser, qui marche toujours devant toi Quand tu accélères pour le rattraper, pour lui parler, lui sauter dessus Il avance de plus en plus vite, il avance au rythme de tes pas Tu le cherches partout du regard, dans chaque foule, sur chaque trottoir Sur chaque quai de chaque gare Parfois, tu l'entends rigoler, tu as l'impression qu'il est là, au fond du couloir Alors tu sors, tu allumes ton radar et "paf", Il a disparu, comme par hasard Puis la nuit, il te réveille en mettant tes rêves en sourdine Il s'agenouille au pied de ton lit pour chuchoter dans tes oreilles Te parler de ta propre vie qu'il connaît comme une vieille copine Toi tu restes figé à l'écouter, comme un lingot d'or platine Pendant ce temps, il relate tes faits et gestes qu'il a épiés Il connaît tes goûts, tes peurs, les rages que t'as pas digérées Tes passions , tes rêves, les trucs que tu adores Et quand tu ouvres les yeux pour le faire taire, il se retourne et puis il s'endort C'est bon, tu me suis jusque là? Il est partout, tout le temps, par tous les temps Il écoute aux portes et même à la serrure Chacun de ses mots me fait l'effet d'un coup de poing dans la figure Sous mon armure de guerrière je cache les traces de ses blessures Il m'envoie des avions en papier qui se faufilent par mes fenêtres Et quand elles sont fermées, il me les glisse entre deux lettres Sur chaque aile il empile des poèmes qui se superposent Il dit que ses yeux picorent ma nuque qu'il a décrit dans sa prose Quand je chante sous la douche il fredonne les deuxièmes voix Il savonne mon corps en me frôlant de ses dix doigts Les bulles multicolores s'envolent sous les gouttes d'eau J'ai comme l'impression qu'il me fait un lavage de cerveau Pour les pauses déjeuner il me fait croire qu'il vient manger J'réserve toujours des tables à deux qui finissent par être annulées Personne ne s'excuse, il n'y a que moi que ça choque Et quand je commence à m'énerver il vient me dire que je débloque Parfois, il m'attend à la sortie du job avec des fleurs Mais quand je m'approche, il s'éloigne, comme si c'est moi qui lui faisais peur Quand je rentre chez moi, c'est pas rare qu'il soit déjà sur le canapé Et quand ma porte est fermée, il tourne en rond assis sur l'escalier Il n'est jamais vraiment là, mais moi je ne suis jamais vraiment seule Quand il n'est pas ici, c'est qu'il préfère voir d'autres gueules Qu'il se bat pour d'autres causes, qu'il recherche un autre emploi Qu'il crée d'autres psychoses avec son pouvoir sournois Je n'ai jamais touché sa peau, je n'ai jamais frôlé sa paume Je n'ai jamais vu son ombre, il est aussi pâle qu'un fantôme Quand j'avale mes médocs il s'assied dans le pas d'la porte Et il me fixe d'un air loufoque comme s'il me voyait déjà morte On a refait le monde pendant des heures attablés à des comptoirs Les gens me regardaient toujours attristés, comme si j'étais la veuve noire Quand on m'a dit que je parlais seule derrière mon verre de Martini Il a fini par me dire son nom, il s'appelait "Schizophrénie"