De Rien Pour La Douceur
Wallace Cleaver
5:59Jeudi 15 juin, j'me couche en écrivant tout ça La petite histoire de ma vie de garçon Ils parlent d'argent, de contrats, mais attends Est-ce qu'il comprennent vraiment la violence d'écrire Sans jamais vivre sa vie de garçon? J'saute dans le métro et ces gens-là vivent la leur Pourquoi j'pourrais pas vivre la nôtre? J'viens de rien et j'parle de tout Les yeux vers le plafond, j'me demande si j'suis pas juste En train de vivre celle d'un autre Et tous ces gens sont maintenant là J'suis plus tout seul mais c'est tout pareil Ils m'disent que tout arrive un jour, super C'est arrivé, ça change pas grand chose Je sais pas comment oublier la casse et c'que les bouts m'rappellent Et dans ces moments-là, faut se raccrocher au vrai Aux sourires des gens qu'tu connais pas Aux vinyles qui prennent la poussière Moi, maintenant, j'suis juste là J'me jette de la falaise avec des pauvres coudières et j'repense à toi Et mes cernes deviennent des grosses gouttières J'ai eu raison souvent et j'me suis trompé, des fois J'les ai complètement déformés à force de m'ronger les doigts Les yeux tellement chauds, j'en ai même fait bronzer tes joues Un jour, j'ai entendu "merci pour la douceur" Et ce son, c'était toi, derrière moi Et j'ai marché dans son cœur, loin Les mains dans les poches Et on a crié pour que le ciel nous épargne Jusqu'à c'que nos tympans s'décrochent Putain, comme c'est beau la vie, quand c'est moche Et on s'trompe sur les chemins Mais jamais les destinations J'en veux pas à ma vie, elle fait c'qu'elle peut, en vrai "J'vous sers quoi?" Aujourd'hui, j'ai mal au cœur Donc ce sera un café encore chaud, sec Avec deux sucres, merde j'ai oublié le "s'il vous plaît" Et sur cette terrasse de Berlin, j'vois tes yeux partout Dans n'importe quel coup d'vent, n'importe quelle histoire Et ça fait beaucoup de temps que j'te sens Dans la paume d'autres filles qui m'font rien de grand Mais tout de bizarre Et merde, il pleut Et c'est comme une maison avec les volets fermés Comme une ville sans lampadaires dans laquelle le soleil n'existe plus Comme le réveil les yeux encore fermés, comme rêver de rêver Comme ce drap sur lequel t'as laissé un cheveu Et une perle de ton beau collier C'est une page blanche sur laquelle il faut écrire une vie, toi Tu décides de colorier Et dans quarante secondes, peut-être que tout disparaîtra Pour reprendre ensuite C'est comme tout, c'est comme ça, c'est comme vous, c'est comme moi Je sais où est mon âme, en fuite On a trouvé de l'amour au milieu de la tempête Sans savoir si on pouvait rentrer au port On vit, on pense et avant de crever, on enquête En haut de la falaise sans savoir si on danserait au bord On en veut qu'aux personnes qu'on aime encore Et on mange avec les loups, et on traîne avec les chiens Cœur cassé, on naît avec leurs trous Mais on crève avec les siens Donc raccorde l'échelle et fais un nœud J'parle à tous les plus jeunes qui m'écoutent, regarde d'où j'viens Donc assis-toi, regarde le ciel et fais un vœu Et les peines, on n'a pas tous les mêmes Moi aussi, un jour j'ai pensé qu'j'pouvais aimer pour deux Ça m'a au moins appris qu'on ne peut pas avoir tout c'qu'on veut Et finalement, j'suis comme le gars qui est tatoué sur mon cou En équilibre sur quatorze chaises Un faux mouvement et je mourrais sur le coup Mais bon, on tente Elle est partie un jeudi, encore faut-il savoir lequel On peut s'parler de c'qu'on a dans le cœur Encore faut-il avoir le même Depuis p'tit, j'attends qu'une chose C'est que ma grand-mère et mon grand-père reviennent juste une seconde Le temps d'leur dire "je t'aime" Et c'qu'ils comprennent pas, c'est qu'ils parlent à un réincarné Le soleil, j'l'ai vu partir, revenir, maintenant J'veux me rapprocher de c'que la lune touche On s'regardait tellement fort et de tellement près Qu'on croirait presque que nos yeux avaient une bouche Et c'est tellement dur de repartir de zéro La page blanche, c'est quand il y a aucun mot qui t'plaise Et la vraie mort, c'est peut-être quand il y a trop d'vie Quand tu sautes, tu sautes, tu sautes Et qu'il n'y a aucun saut qui t'blesse Et j'ai un trou à la place du cœur Le soleil s'est rallumé Et c'est avec un bout d'lui que j'vais le remplacer J'me souviens, j'voulais l'embrasser Même si j'savais que mes lèvres finiraient par s'embraser Et j'suis pas fait pour ça Donc j'arrêterai vite et bien Un jour, je partirai, comme je suis venu C'est-à-dire que je ne dirai rien Et je serai bien le jour où "demain" Prendra le sens de "peut-être que si" Le jour où "Marcel" prendra le sens de "Merci" Marcel Raconte, hein Vous savez, on avait appelé, on les avait-, ah -Après la guerre, c'est eux que, on les avait, là Les prisonniers avant, pendant la guerre, c'était les français qui étaient là-bas Eux, ils étaient prisonniers Mais pourquoi ils sont venus ici? Ici, aux Grands Champs Ils sont venus parce qu'on les avait occupé, fallait, fallait Les prisonniers, fallait que la guerre se finisse Tant qu'on les a pas libéré On les gardait, en prison C'est pas une prison Nan mais, ici? Ici Ah ok, bello che mi Bello che mi scambi per Charly, grazie Grazie, nonna, grazie mille Oui, mon p'tit-fils chéri Euh, j'viens de voir ta grand-mère Euh, qui m'a redit, sans doute Parce que elle m'en avait parlé il y a un petit moment Que t'as un concert au mois d'novembre à Paris Et j'voulais t'embrasser très fort Comme sur la photo qu'j'ai en face de moi dans ma chambre Où j'te fais un gros bisou Avec mes bras autour de ton cou Parce que j'suis très ému d'savoir ça, voilà En plus de la fierté qu'je ressens Que mon p'tit-fils en soit là J'aurais voulu qu'tu m'expliques un p'tit peu comment ça s'est passé Pour qu't'en arrives là Voilà J'suis très fier de toi, mon grand, bisou Tiens, hop là Merci